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Image du corps : un concept au croisement des disciplines

1. Image du corps et schéma corporel : deux notions sœurs
1.1. Des précisions sur la notion de schéma corporel

Avant d’aborder le concept d’image du corps plus en profondeur, il convient de rappeler qu’historiquement, ce dernier s’est souvent confondu à la notion de schéma corporel. De Ajuriaguerra (cité par Golse, 20111Golse, B. (2011). Des sens au sens. La place de la sensorialité dans le cours du développement. Spirale – La grande aventure de bébé, 57(1), 95–108. doi.org/10.3917/spi.057.0095) a apporté la définition suivante du schéma corporel : « Édifié sur les impressions tactiles, kinesthésiques, labyrinthiques et visuelles, le schéma corporel réalise, dans une construction active constamment remaniée des données actuelles et du passé, la synthèse dynamique qui fournit à nos actes, comme à nos perceptions, le cadre spatial de référence où ils prennent leur signification ». Aujourd’hui, le schéma corporel fait référence à une topographie cérébrale permettant de connaître l’emplacement des différentes parties de notre corps et de les orienter dans l’espace (Mendoza, 20182Mendoza, J. E. (2018). Body Schema. Dans Kreutzer, J. S., DeLuca, J., Caplan, B. (dir.), Encyclopedia of Clinical Neuropsychology (p. 604–605). Springer. doi.org/10.1007/978-3-319-57111-9_713). Associé au système proprioceptif et au « corps en action », le schéma corporel répondrait davantage aux questions « Où ? » et « Comment ? » (p. ex., où est mon corps et comment l’utiliser) (Albaret, 2012, p. 2163Albaret, J. M. (2012). Chapitre 6. Le corps et ses représentations. Dans Albaret, J. M., Giromini, F., et Scialom, P. (dir.), Manuel d’enseignement en psychomotricité. Tome 1 : Concepts fondamentaux (p. 214–221). DeBoeck Supérieur.).

1.2. Définition de l’image du corps dans la littérature scientifique

La définition de l’image du corps ne fait toujours consensus selon les disciplines. Pourtant, dans la littérature scientifique, l’image du corps est définie comme un ensemble de perceptions, d’attitudes et de croyances que l’individu entretient vis-à-vis de son propre corps (Gallagher, 2005, p. 2344Gallagher, S. (2005). Dynamic models of body schematic processes. Dans De Preester, H. et Knockaert, V. (dirs), Body Image and Body Schema: Interdisciplinary perspectives on the body (p. 233–250). John Benjamins Publishers. doi.org/10.1075/aicr.62.15gal). Elle serait davantage associée au système de perception des formes, répondant à la question « Quoi ? » (p. ex., quelles sont mes particularités corporelles). L’image du corps incorporerait par exemple l’estimation de la taille du corps, l’évaluation de l’attractivité du corps et les émotions associées à la forme et à la taille perçue du corps. Une influence mutuelle s’exercerait entre l’image du corps et les sphères biologiques, cognitives, perceptives, affectives et comportementales (Albaret, 2012, p. 216 ; Grogan, 20065Grogan, S. (2006). Body image and health: contemporary perspectives. Journal of health psychology, 11(4), 523–530. doi.org/10.1177/1359105306065013 ; Slade, 19946Slade, P. D. (1994). What is body image?. Behaviour research and therapy, 32(5), 497–502. doi.org/10.1016/0005-7967(94)90136-8). Plusieurs facteurs peuvent entrer en jeu dans sa construction et dans son développement, comme le genre, l’âge, les expériences de vie, l’historique corporel, la personnalité, certaines pathologies, ou encore le milieu familial et socio-culturel (Cash, 20127Cash, T. F. (2012). Preface. Encyclopedia of Body Image and Human Appearence (xix). Academic Press. ; Tort-Nasarre et al., 20218Tort-Nasarre, G., Pollina Pocallet, M., et Artigues-Barberà, E. (2021). The Meaning and Factors That Influence the Concept of Body Image: Systematic Review and Meta-Ethnography from the Perspectives of Adolescents. International journal of environmental research and public health, 18(3), 1140. doi.org/10.3390/ijerph18031140).

Comme elles restent étroitement liées et s’influencent mutuellement, les deux notions de schéma corporel et d’image du corps sont souvent abordées de pair, mais aussi souvent confrontées. Afin de préciser sa conceptualisation et son utilisation en clinique, nous examinerons comment différentes disciplines abordent l’image du corps.

2. Les apports de la psychanalyse dans la conceptualisation de l’image du corps
2.1. Schilder : l’émergence de la notion d’image du corps

Dans son livre « The Image and Appearence of the Human Body » (19509Schilder, P. (1950). The Image and Appearance of the Human Body. International Universities Press Inc.), Paul Schilder, psychiatre et psychanalyste Autrichien, est l’un des premiers auteurs à conceptualiser l’image du corps (Jeannerod, 201010Jeannerod, M. (2010). De l’image du corps à l’image de soi. Revue de neuropsychologie, 2, 185– 194. doi.org/10.1684/nrp.2010.0095). En l’abordant sous le terme « d’image du corps humain », Schilder définit cette dernière comme étant « l’image de notre propre corps que nous formons dans notre esprit, c’est-à-dire la façon dont le corps nous apparaît à nous-mêmes » (Schilder, 1950, p. 11). Selon lui, l’image du corps se construirait sur trois bases : physiologique, libidinale et sociologique. La base physiologique contiendrait les impressions posturales, tactiles, vestibulaires et visuelles sur lesquelles s’étayeraient la représentation du corps. La base libidinale, s’appuyant davantage sur la théorie de Freud, rend compte de la manière dont les stades du développement psychosexuel de l’enfant, en lien avec la notion de zones érogènes, participeraient à la construction du Moi. Ce développement permettrait le passage d’un narcissisme primaire, où le plaisir est auto-centré, à un narcissisme secondaire, où la prise en compte de l’environnement extérieur et l’identification à autrui sont ramenés à soi. Enfin, la base sociologique met en avant l’influence des relations et des interactions sociales dans l’élaboration de l’image du corps. Schilder aborde notamment l’expression des émotions, l’imitation, l’image des autres, l’habit et le rapport à la beauté comme éléments modifiant les représentations corporelles.

Habitant notre vie psychique, l’image du corps guiderait la manière dont nous interagissons avec notre environnement, puisque, pour Schilder (1950, p. 15) « il y a toujours une personnalité qui fait l’expérience de la perception ». Le modèle postural du corps, se référant à la connaissance de la position du corps, à sa topographie, serait le socle des attitudes émotionnelles envers le corps. Malgré cette distinction qui semble naître entre schéma corporel et image du corps, nous notons que, tout au long de son ouvrage, Schilder attribue à l’image du corps les caractéristiques que nous attribuons aujourd’hui au schéma corporel. En effet, l’auteur utilise de manière interchangeable les termes « image du corps », « schéma corporel », « modèle postural du corps » et « image posturale du corps » pour aborder tant les représentations affectives et émotionnelles du corps que les représentations somatotopiques et somesthésiques.

2.2. Dolto : l’image du corps comme concept à part entière

Françoise Dolto, pédiatre et psychanalyste Française, précise davantage la définition de l’image du corps en la distinguant du schéma corporel ; elle la baptiste « image inconsciente du corps ». Dolto (1984, p. 2211Dolto, F. (1984). L’image inconsciente du corps. Seuil.) établit alors que « l’image du corps est la synthèse vivante de nos expériences émotionnelles ». L’histoire personnelle du sujet, ainsi que le vécu subjectif qu’il tire de ses expériences relationnelles, sous-tendraient l’élaboration de son image du corps qui s’engrammerait dans une mémoire inconsciente. Ainsi, pour Dolto, l’image du corps s’inscrirait davantage dans une dynamique relationnelle et émotionnelle, structurant le rapport qu’un individu entretient avec son corps. Au gré de ses expériences, l’image du corps, présentant un caractère plastique, aurait une capacité à se moduler et à évoluer tout au long de la vie. Selon Dolto (1984, p. 49), sa construction serait dynamique et étayée selon trois modalités : une image de base, une image fonctionnelle et une image érogène. Ces trois modalités, indissociables et en constante interaction, joueraient chacune un rôle à part entière pour assurer la cohésion de l’image du corps.

L’image de base soutiendrait l’identité du sujet et lui permettrait de développer un sentiment de continuité d’existence au sein des dimensions spatiales et temporelles. L’image fonctionnelle se rapporterait davantage à l’accomplissement d’un désir. D’une zone corporelle naîtrait un manque ; cette zone se transformerait alors en un « lieu érogène » duquel émergerait une pulsion, un désir visant à combler ce manque. C’est ce manque qui amènerait le sujet à rechercher du plaisir. La recherche du plaisir permettrait au sujet d’interagir avec son environnement, donc de développer une utilisation adaptée de son schéma corporel. Ainsi, l’image fonctionnelle sous-tendrait l’image érogène ; dans cette troisième modalité, les zones érogènes, « lieu où se focalise plaisir et déplaisir érotique », s’étendraient à la relation à l’autre et permettraient l’accès au plaisir partagé (Dolto, 1984, p. 50-57).

2.3. Lacan et l’image spéculaire : le stade du miroir comme unification d’un Moi corporel

Bien que Jacques Lacan, psychiatre et psychanalyste Français, se soit davantage intéressé à la parole et au langage comme manifestation de l’inconscient, le corps n’est pas absent de sa théorie (Leguil, 201612Leguil, C. (2016). Les preuves de l’existence du corps lacanien. L’Évolution Psychiatrique, 81(4),855–864. doi.org/10.1016/j.evopsy.2016.08.004). Dans ses travaux, il précise que, pour faire l’expérience d’une unité corporelle, le bébé entre 6 et 18 mois doit pouvoir être confronté à son image extérieure (Nominé, 200413Nominé, B. (2004). Corps et langage. Champ lacanien, 1(1), 27–44. doi.org/10.3917/chla.001.0027). Ainsi, en s’appuyant sur les travaux de Wallon, Lacan considère le « stade du miroir » comme « formateur du Je » ; l’image externe renvoyée par le miroir permettrait l’assimilation visuelle du corps dans son ensemble.

Cette image, appelée « image spéculaire », offre une perception du corps qui ne pourrait être vue sans l’utilisation d’un artifice (Albaret, 2012, p. 217). Lacan considérait cette étape comme jubilatoire pour l’enfant et indispensable à la construction de l’image de son corps (Leguil, 2016). Force est de constater que Dolto (1984, p. 151-154) n’était pas de cet avis ; pour elle, l’image spéculaire renvoyée par le miroir est au contraire destructrice, car elle confronterait la représentation interne du corps à sa représentation externe, brisant à tout jamais l’image fantasmatique que le sujet s’est créé de son propre corps. Pour Scialom (2011, p. 22514Scialom, P. (2011). Chapitre 6. Le corps et ses représentations. Dans Albaret, J. M., Giromini, F., et Scialom, P.(dir.), Manuel d’enseignement en psychomotricité. Tome 1 : Concepts fondamentaux (p. 224–227). DeBoeck Supérieur.), l’équipement sensori-moteur du bébé étant encore immature, le stade du miroir permettrait au psychisme de prendre de l’avance et de commencer à appréhender le corps dans sa globalité. Ainsi, l’image du corps commencerait à se différencier du schéma corporel.

3. Les altérations de l’image du corps comme précisions d’un concept
3.1. Les lésions cérébrales : premières théorisations du siège de l’image du corps

Dans « L’image de notre corps » (193915Lhermitte, J. (1939). L’image de notre corps. Nouvelle Revue Critique.), Jean Lhermitte, neurologue et psychiatre Français, contemporain de Schilder, développe la notion d’image du corps sous un versant neurologique. Pour lui, l’image du corps, qu’il appelle également image de soi, serait « le sentiment complexe mais fort et toujours présent à la frange de la conscience, de notre personnalité physique » (Lhermitte, 1939, p. 11). Dans sa conceptualisation, l’image du corps s’étayerait avant tout sur le fonctionnement psycho-physiologique de l’individu. L’auteur stipule que c’est l’idée de notre corps, « l’image de notre moi corporel », qui nous permet d’agir sur le monde. À l’instar de Schilder, Lhermitte ne différencie pas les termes d’image du corps et de schéma corporel ; pour lui, le schéma postural, le schéma corporel, ou encore l’image de soi, désignent simplement l’image du corps (Lhermitte, 1939, p. 12).

En étudiant l’impact des lésions cérébrales sur l’image du corps, Lhermitte aborde deux types de syndromes pouvant altérer cette dernière : le syndrome pariéto-occipital et le syndrome pariéto-post-central. Le syndrome pariéto-occipital, dont les lésions partiraient du lobe pariétal vers le lobe occipital, s’accompagnerait d’ « altérations profondes du schéma corporel accompagnées de perturbations des représentations visuelles et d’un sentiment de dépersonnalisation. ». Le syndrome pariéto-post-central, allant du lobe pariétal vers la circonvolution post-centrale, entraînerait quant à lui « des illusions des sensibilités tactile et cinesthésique ainsi que … des modifications partielles de l’image de soi ». Lhermitte précise néanmoins que l’image du corps, qui est variable, chargée de sens et d’histoire, s’inscrit dans une dynamique psychique et ne pourrait être soutenue que par une seule structure organique au sein du système nerveux (Lhermitte, 1939, p. 143-144).

3.2. Neurologie et psychiatrie : avancement de la recherche sur l’image du corps

Les travaux de Trimble (200716Trimble M. (2007). Body image and the parietal lobes. CNS spectrums, 12(7), 540–544. doi.org/10.1017/s1092852900021283), neuropsychiatre Anglais, semblent confirmer que plusieurs structures cérébrales étayent bel et bien l’image du corps. Selon lui, bien que les altérations de cette dernière puissent avoir pour origine une lésion au niveau du lobe pariétal postérieur, cela n’est pas suffisant pour affirmer que son siège s’y situe. Il cite notamment le lobe temporal, le gyrus angulaire et l’insula comme autres structures cérébrales pouvant entraîner une altération de l’image du corps. En abordant les pathologies psychiatriques dans lesquelles l’image du corps est altérée, Trimble souligne que peu d’entre elles sont en lien avec le lobe pariétal. L’étude de Preston et Ehrsson (201617Preston, C., et Ehrsson, H. H. (2016). Illusory Obesity Triggers Body Dissatisfaction Responses in the Insula and Anterior Cingulate Cortex. Cerebral cortex (New York, N.Y. : 1991), 26(12), 4450–4460. doi.org/10.1093/cercor/bhw313) indique par exemple que l’activité du cortex cingulaire antérieur et de l’insula antérieure est altérée dans l’anorexie mentale. Le résultat de ces recherches tendent à nous questionner sur le fait qu’une composante neurologique pourrait sous-tendre l’altération de l’image du corps dans une pathologie psychiatrique. Pourtant, les altérations de l’image du corps ne sont pas nécessairement pathologiques ; par exemple, une mauvaise estimation de la taille du corps se retrouve aussi chez les adultes sains (Fuentes et al., 201318Fuentes, C. T., Longo, M. R., et Haggard, P. (2013). Body image distortions in healthy adults. Acta psychologica, 144(2), 344–351. doi.org/10.1016/j.actpsy.2013.06.012 ; Longo, 202219Longo, M. R. (2022). Distortion of mental body representations. Trends in cognitive sciences, 26(3), 241–254. doi.org/10.1016/j.tics.2021.11.005) et les individus exhibant certains traits de personnalité, comme le neuroticisme, seraient plus susceptibles d’avoir une image du corps négative (Allen et Walter, 201620Allen, M. S., et Walter, E. E. (2016). Personality and body image: A systematic review. Body image, 19, 79–88. doi.org/10.1016/j.bodyim.2016.08.012). Par ailleurs, l’activité hormonale peut elle aussi modifier le rapport au corps et notamment influencer l’insatisfaction corporelle (Forney et al., 201921Forney, K. J., Keel, P. K., O’Connor, S., Sisk, C., Burt, S. A., et Klump, K. L. (2019). Interaction of hormonal and social environments in understanding body image concerns in adolescent girls.Journal of psychiatric research, 109, 178–184. doi.org/10.1016/j.jpsychires.2018.12.008 ; Krohmer et al., 201922Krohmer, K., Derntl, B., et Svaldi, J. (2019). Hormones Matter? Association of the Menstrual Cycle With Selective Attention for Liked and Disliked Body Parts. Frontiers in psychology, 10,851. doi.org/10.3389/fpsyg.2019.00851).

Ceci reflète une petite partie de la complexité surplombant la conceptualisation de l’image du corps. Sa construction étant multimodale, son altération peut donner lieu à des cliniques très différentes. Par exemple, l’expérience du membre fantôme, la dysmorphophobie ou encore l’héautoscopie sont toutes des manifestations d’une altération de l’image du corps (Cuzzolaro, 201823Cuzzolaro, M. (2018). Body Schema and Body Image: History and Controversies. Dans Cuzzolaro, M., et Fassino, S. (dir.), Body Image, Eating, and Weight. Springer, Cham. doi.org/10.1007/978-3-319-90817-5_1) (Annexe 1). Malgré cette diversité clinique, les publications sur l’image du corps appréhendent majoritairement son altération sous l’angle de l’insatisfaction corporelle (Grogan, 200624Grogan, S. (2006). Body image and health: contemporary perspectives. Journal of health psychology, 11(4), 523–530. doi.org/10.1177/1359105306065013). Les termes d’image du corps « positive » ou « négative » sont alors utilisés pour rendre compte de la manière dont une personne appréhende son corps.

3.3. Aspects évaluatifs de l’image du corps

Depuis la fin des années 1970, Marilou Bruchon-Schweitzer, professeure émérite de psychologie à l’Université de Bordeaux, a publié de nombreux travaux de recherche sur l’image du corps. Dans son livre « Une psychologie du corps », Bruchon-Schweitzer (199025Bruchon-Schweitzer, M. (1990). Une psychologie du corps. Presses Universitaires de France.) souligne que l’image du corps, composante de l’identité, servirait d’étayage à l’estime de soi. La satisfaction corporelle, soit une image du corps « positive », serait associée à une meilleure adaptation personnelle et sociale prédisant une meilleure estime de soi.

À l’inverse, l’insatisfaction corporelle, soit une image du corps « négative », altérerait la sphère affectivo-émotionnelle en générant de l’anxiété et de l’autodépréciation. Ainsi, la satisfaction corporelle est le moyen le plus utilisé pour évaluer l’image du corps. Pourtant, Bruchon-Schweitzer met en avant trois autres dimensions évaluatives de l’image du corps, à savoir la conscience et l’anxiété corporelle, l’enveloppe et l’accessibilité corporelle, ainsi que l’identité sexuelle du corps, qui offrent des pistes intéressantes pour évaluer différentes composantes de l’image du corps. Elle propose entre autres d’imaginer une dimension pouvant évaluer la rigidité ou la plasticité de l’image du corps. L’auteure insiste donc sur le caractère pluriel de l’image du corps et préfère ainsi parler « d’images du corps ». (Bruchon-Schweitzer, 1990, p. 195-269).

4. État des lieux actuel et nouvelles perspectives sur l’image du corps
4.1. Les images du corps : un concept pluriel

Selon les auteurs, des discordances existent dans la conceptualisation actuelle de l’image du corps. Considérée comme inconsciente pour certains (Dolto, 1984 ; Pireyre, 2021, p. 5326Pireyre, É. (2021). Clinique de l’image du corps : du vécu au concept (3e éd.). Dunod.), elle est au contraire consciente pour d’autres (Albaret, 2012, p. 216 ; Gallagher, 2005). Par ailleurs, Frédérique De Vignemont (201027De Vignemont, F. (2010). Body schema and body image–pros and cons. Neuropsychologia, 48(3),669–680. doi.org/10.1016/j.neuropsychologia.2009.09.022), chercheuse en philosophie au CNRS, précise qu’il semblerait que l’image du corps soit un « fourre-tout » regroupant les concepts et les notions qui ne rentrent pas dans la définition du schéma corporel. Selon elle, une double problématique semble ainsi se profiler : d’une part, l’hétérogénéité actuelle de la conceptualisation de l’image du corps ferait courir le risque que cette dernière soit vidée de son sens. D’autre part, comme il s’agit justement d’une conception hétérogène, la chercheuse pointe du doigt la difficulté de dissocier l’image du corps en différents éléments pour qu’elle prenne du sens (De Vignemont, 2018, p. 14128De Vignemont, F. (2018). Mind the Body: An Exploration of Bodily Self-Awareness. Oxford University Press.).

Plusieurs auteurs contemporains ont ainsi cherché à répondre à cette problématique concernant la pluralité des images du corps. Corraze en a par exemple dégagé quatre aspects, notamment la perception directe du corps, l’image spéculaire telle qu’elle est renvoyée par le miroir, le corps propre correspondant à la représentation graphique du corps, ainsi que l’image du corps valorisée au niveau culturel (Albaret, 2012, p. 220). Brohm (2017)29Brohm, J. M. (2017). Métapsychologie de la corporéité. Dans Ontologies du corps (p. 381–450). Presses universitaires de Paris Nanterre. doi.org/10.4000/books.pupo.7136 affirme que l’image du corps renvoie à plusieurs niveaux d’inintelligibilité du corps, se divisant ainsi en six corps : agissant, vécu, connu, reconnu, représenté et imaginé. Nasio, quant à lui, met en avant deux facettes de l’image du corps, à savoir le corps-vécu, qui représente l’image inconsciente du corps, et le corps-vu, s’apparentant à l’image spéculaire (Brohm, 2017).

4.2. Une conceptualisation psychomotrice de l’image du corps

Pour davantage rendre compte du caractère inconscient de l’image du corps et adapter le concept d’image du corps à la clinique psychomotrice, Éric Pireyre, psychomotricien et cadre de santé, propose l’appellation d’« image composite du corps ». Ainsi, Pireyre (2021, p. 52) met en avant six composantes de l’image du corps, à savoir : la peau physique et psychique, la représentation de l’intérieur du corps, le tonus, la sensorialité, les compétences communicationnelles du corps, ainsi que les angoisses corporelles archaïques.

Dans sa théorisation, l’auteur stipule que le caractère inconscient de l’image du corps est de prime importance. En effet, pour lui, la définition actuelle de l’image du corps, renvoyant à un système de perception nous permettant de nous représenter notre corps, ne rendrait pas compte de sa dimension inconsciente et entretiendrait, qui plus est, la confusion avec le schéma corporel. À titre d’exemple, il précise que « je peux en effet me représenter la position de mon bras dans l’espace au moment où je souhaite me saisir d’un objet. Et je peux aussi me représenter mon bras comme morcelé » (Pireyre, 2021, p. 51). Pour l’auteur, l’image du corps s’inscrit principalement dans la période de la vie qui borde la périnatalité et la petite enfance, lors de la naissance du lien entre l’organisme et le psychisme, tous deux encore immatures. Nous conserverions des traces de cette période « archaïque » au sein de structures sous-corticales. À l’âge adulte, ces traces, peu accessibles à la conscience, se manifesteraient par des angoisses, par des peurs, par des sentiments d’étrangeté, et par des « souffrances incompréhensibles » (Pireyre, 2021, p. 243-272).

 

Cet article est tiré de mon mémoire de fin d’étude : « Être en corps présent – Nourrir l’image du corps par la médiation yoga en psychomotricité au sein d’Unités de Soins de Longue Durée ».
Noémie Christensen (2025)

Bibliographie

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