1. L’utilisation du yoga comme médiation en psychomotricité
1.1. Pratique psychocorporelle et médiation psychomotrice
Les pratiques psychocorporelles se définissent comme « l’ensemble des approches psychothérapeutiques partant du corps, ou se servant du corps comme médiation » (Célestin-Lhopiteau, 2015, p. 131Célestin-Lhopiteau, I. (2015). Chapitre 1. Place particulière des pratiques psycho-corporelles dans le développement de la médecine et de la santé intégrative. Dans Soigner par les Pratiques Psycho-Corporelles : pour une stratégie intégrative (p. 7–22). Dunod.). La médiation en psychomotricité renvoie à l’utilisation d’une technique ou d’une pratique dans un objectif de soin. Par conséquent, dans le cadre d’un projet thérapeutique en psychomotricité, le yoga devient une médiation psychomotrice. Les bénéfices du yoga, comme nous l’avons vu, gagnent les sphères motrice, cognitive, psychologique et affective de l’individu. En psychomotricité, le corps est appréhendé comme une entité inséparable de la psyché. Dans un cadre thérapeutique, il devient une porte d’entrée au soin ; de ce fait, la place du yoga comme médiation prend tout son sens dans une prise en soins en psychomotricité.
1.2. Le yoga pour travailler sur l’image du corps en psychomotricité
Le yoga met en jeu de nombreux items psychomoteurs, tels que la motricité globale, le tonus, le schéma corporel, l’image du corps, la latéralité, l’organisation spatio-temporelle, l’intégration sensorielle, ou encore les capacités attentionnelles (Brunelle, 20132Brunelle, J. F. (2013). Le yoga en tant qu’activité psychomotrice : validation d’une grille d’observation sur l’exécution de positions de yoga. [Mémoire de Maîtrise en Sciences de l’Activité Physique, Université du Québec à Trois-Rivière]. depot-e.uqtr.ca/id/eprint/7292/). Pour rappel, Pireyre (20213Pireyre, É. (2021). Clinique de l’image du corps : du vécu au concept (3e éd.). Dunod.) cite, entre autres, le tonus et la sensorialité comme composantes de l’image du corps. Ainsi, la co-dépendance de l’image du corps ne saurait se reléguer qu’à sa seule relation avec le schéma corporel ; d’autres items psychomoteurs participent à son élaboration. Certaines postures ou certains membres du yoga peuvent être privilégiés dans le cadre d’un projet thérapeutique ayant pour objectif de travailler sur l’image du corps. Les postures de fermeture vers l’avant, qui permettent le regroupement du buste vers les cuisses, favorisent l’enroulement et aident à retrouver une unité corporelle, un sentiment de sécurité et de continuité, souvent fragilisés dans des vécus corporels morcelés ou anxieux (Bulliard et Masson, 20224Bulliard, L., et Masson, J. (2022). Yoga et addiction. La médiation thérapeutique par le yoga pour réduire l’anxiété. L’information psychiatrique, 98(5), 354–359. doi.org/10.1684/ipe.2022.2424 ; Ponton, 20175Ponton, G. (2017). Empreintes proprioceptives au cœur de la conscience du sujet. Journée de l’ARP Lyon Novembre 2017. Les Ateliers du Cami Salié. ateliers-cami-salie.fr/publications). En outre, la place accordée à la méditation, à la relaxation, ou au travail sur la respiration, peut être allongée pour favoriser la régulation tonique ou l’intégration sensorielle.
La motricité globale, le tonus et la sensorialité sont trois items psychomoteurs mis en jeu dans la pratique du yoga. Comme ces trois items participent à l’élaboration de l’image du corps, il est pertinent d’aborder leur implication dans le cadre de notre propos et de notre clinique.
2. Yoga et image du corps : l’implication d’autres items psychomoteurs
2.1. Motricité globale et image du corps
La motricité globale correspond aux compétences sollicitant les grands groupes musculaires qui permettent des actions motrices telles que la marche, la course, l’équilibre, les sauts, ou encore les coordinations et les dissociations entre les hémicorps. Elle permet un acte moteur qui offre la possibilité d’expériences motrices, se divisant en trois grandes catégories d’activités : staturo-posturale, locomotrice, et manipulatoire (Rigal, 2003, p. 1446Rigal, R. (2003). Motricité humaine : fondements et applications pédagogiques. Tome 2 : développement moteur (3e ed.). Presses de l’Université du Québec.). Comme mentionné plus tôt, ce sont entre autres ces expériences motrices qui permettent la création de nouvelles représentations de soi. Les postures de yoga, rentrant dans la catégorie d’activités staturo-posturales, permettent ainsi une mise à jour de l’image du corps par l’engagement de la motricité globale et par l’apprentissage moteur. La motricité aide également à maintenir une image du corps unifiée (Bergeret-Amselek, 2018, p. 3587Bergeret-Amselek, C. (2018). Et si Alzheimer(s) et autisme(s) avaient un lien ? Enjeux et perspectives. Et si Alzheimer(s) et Autisme(s) avaient un lien ? (p. 345–387). Érès. doi.org/10.3917/eres.berge.2018.01.0345).
2.2. Tonus et image du corps
Le tonus représente « l’état permanent de tension qui s’exerce sur les muscles afin de s’opposer à l’action de la gravité sur le corps » (Albaret et Feuillerat, 20188Albaret, J. M., et Feuillerat, B. (2018). Sémiologie du tonus. Dans Albaret, J. M., Scialom, P., et Giromini, F. (dir.), Manuel d’enseignement de psychomotricité. Tome 4 : Sémiologie et nosographies psychomotrices. (p. 142–159). De Boeck Supérieur.). Cette définition peut peindre le tonus comme un phénomène purement musculaire ; pourtant, le tonus est en lien direct avec les émotions. Pour Wallon, « l’émotion, quelle que soit sa nuance, a toujours pour condition fondamentale des variations dans le tonus des membres et de la vie organique » (Wallon, cité par Pireyre, 2021, p. 114). En psychomotricité, trois types de tonus sont distingués : le tonus de fond, relatif à la tension minimale d’un muscle au repos, le tonus postural (ou d’attitude), qui lutte contre la gravité et maintien la posture, et le tonus d’action, impliqué dans la réalisation de l’acte moteur (Pireyre, 2021, p. 87-88 ; Vincent, 2021). Grâce aux postures, à la respiration et à la relaxation, le yoga met en jeu ces trois modalités du tonus. Cette mise en jeu favorise la régulation de la fonction tonique et émotionnelle, ce qui participe à la détente et à l’apaisement. En régulant les affects, le tonus permet de modifier la perception et la relation que le patient entretient avec son corps. Dans le cas d’ajustements posturaux effectués par le psychomotricien sur le patient, le dialogue tonico-émotionnel rentre en jeu, ce qui participe à la régulation tonique du patient et à l’intégration sensorielle des mouvements, donc au développement d’une meilleure conscience corporelle.
2.3. Sensorialité et image du corps
Pour Giromini et al. (2024, p. 769Giromini, F., Pavot-Lemoine, C., Robert-Ouvray, S., et Vachez-Gatecel, A. (2024). La Psychomotricité. Presses Universitaires de France.), les modalités sensorielles se divisent en deux catégories : l’extéroception et l’intéroception. L’extéroception est relative aux cinq sens (c.-à-d., vision, audition, olfaction, gustation et tact) et permet de capter des stimuli sensoriels, proches ou lointains, qui sont extérieurs au corps. L’intéroception, quant à elle, correspond à la perception des stimuli issus du corps ; elle englobe la sensibilité vestibulaire, relative à l’équilibration, et la proprioception, qui permet de situer le corps dans l’espace.
La motricité globale, le tonus et la sensorialité permettent un ancrage au moment présent, dans l’instant du mouvement et de la sensation, renforçant ainsi le rapport à la présence et à l’impermanence du corps. Les expériences et les apprentissages découlant de la motricité globale, ainsi que la régulation des affects par le tonus et l’appui du psychomotricien dans la conscientisation, la verbalisation et la mise en mots des sensations éprouvées, servent à valoriser l’image du corps dans ses sphères physique, psychologique, et sociale.
Cet article est tiré de mon mémoire de fin d’étude : « Être en corps présent – Nourrir l’image du corps par la médiation yoga en psychomotricité au sein d’Unités de Soins de Longue Durée ».
Noémie Christensen (2025)