1. L’image du corps : un item psychomoteur à part entière
1.1. L’abord de l’image du corps en psychomotricité
Les items psychomoteurs correspondent aux éléments composant la sphère psychomotrice d’un individu ; l’image du corps en fait partie. Comme nous l’avons vu, la notion d’image de corps étant intriquée à celle de schéma corporel, la sémantique psychomotrice peut parfois désigner cette dyade par le terme de « représentations corporelles » (Giromini et al., 2024, p. 100-1021Giromini, F., Pavot-Lemoine, C., Robert-Ouvray, S., et Vachez-Gatecel, A. (2024). La Psychomotricité. Presses Universitaires de France.). L’action motrice génère des sensations et des ressentis qui façonnent les représentations de soi et du monde ; la motricité permet le développement et l’actualisation du schéma corporel et de l’image du corps.
Pour Alexandrine Saint-Cast, citée par Vacher (20132Vacher, A. (2013). Passer par l’acte psychomoteur. Interview de Catherine Potel Baranes et Alexandrine Saint-Cast. Enfances & Psy, 61(4), 20–31. doi.org/10.3917/ep.061.0020), c’est « dans le vécu du corps touchant-touché, dans la perception cénesthésique, [que] se construit en un continuel remaniement expériencié, la représentation que se fait le sujet de lui-même ». Ainsi, même si nous abordons ici l’image du corps comme item à part entière, il convient de rappeler que d’un point de vue psychomoteur, elle se co-construit de façon interdépendante avec le schéma corporel.
La conceptualisation de l’image de corps se situant au carrefour des disciplines, le psychomotricien peut, en fonction de sa clinique, de ses convictions ou de l’institution dans laquelle il travaille, prendre parti de s’appuyer sur une théorisation plutôt qu’une autre. D’une manière générale, quel que soit le courant théorique, l’évaluation de l’image du corps en psychomotricité porte sur la façon dont le patient investi son corps d’un point de vue relationnel, affectif et perceptif.
1.2. Valoriser l’image du corps par la psychomotricité
Les techniques et médiations psychomotrices peuvent être regroupées en quatre catégories : relaxation psychomotrice, techniques d’intégration sensorielle, techniques perceptivo-motrices et techniques expressives et créatives (Giromini et al., 2024, p. 112). Chacune de ces techniques est susceptible, directement ou indirectement, d’agir sur les perceptions, sur les représentations ou sur les émotions qu’entretient un individu avec son corps. La psychomotricité, en alliant un travail qui investit le corps et la psyché, peut ainsi répondre à de nombreuses problématiques et pathologies relatives à l’image du corps. Dans son décret de compétence, rappelons que le psychomotricien est habilité à contribuer « par des techniques d’approche corporelle, au traitement des […] troubles de la représentation du corps d’origine psychique ou physique » (Code de la santé publique, 20043Code de la santé publique. (2004). Section 1 : Actes professionnels. (Article R4332-1). Consulté le 19 février 2025 sur www.legifrance.gouv.fr/codes/id/LEGIARTI000006914164).
Une notion qu’il nous semble importante de mentionner, rattachée à l’image du corps et souvent abordée en psychomotricité, est la notion de « corps-plaisir ». Le corps-plaisir correspond à l’idée d’un corps vecteur de sensations et d’expériences agréables. Lorsque l’image du corps est altérée, le corps peut être désinvesti, répudié, négligé, voire malmené. Il devient vecteur de souffrances et d’inconforts, tant physiques que psychiques, ce qui peut entraîner un clivage, une perte d’harmonie corps-psyché. L’intégration d’un corps-plaisir, facilitée par des expériences sensorimotrices plaisantes via les techniques mentionnées ci-dessus, favorise le développement d’une relation harmonieuse entre le patient et son corps, donc permet une actualisation positive de son image du corps (Baylot et al., 20224Baylot, A., Bednarek, S., et Fradet, M. (2022). Chapitre 24. Psychomotricité en rééducation orthopédique et neurologie adulte : accompagnement psychomoteur dans les bouleversements du corps et de l’identité. Dans Gatecel, A., et Valentin-Lefranc, A. (dir.), Le Grand Livre des pratiques psychomotrices : fondements, domaines d’application, formation et recherche. (2e éd., p. 297–21). Dunod. ).
De par la diminution des expériences motrices, sensorielles et relationnelles, la fonction de plaisir associée au corps est d’autant plus altérée dans le vieillissement. Le psychomotricien devient ainsi un professionnel de première ligne pour aborder les problématiques liées à l’image du corps chez la personne âgée.
2. Valoriser l’image du corps chez la personne âgée
2.1. Valorisation physique
La perte de la fonctionnalité du corps est une des préoccupations corporelles majeures vécue par la personne âgée. Le psychomotricien, dans son rôle de rééducateur, est à même de mener une prise en soins à visée fonctionnelle. En travaillant par exemple sur la marche, sur l’équilibre, ou encore sur la motricité relative au sol (p. ex., niveaux d’évolution motrice), le psychomotricien peut permettre au patient de refaire l’expérience d’un corps qui sait faire et qui peut faire, d’un corps qui ressent, qui découvre et qui apprend. La mise en mouvement participe ainsi à la renarcissisation du corps ; la valorisation de la sphère motrice agit sur la sphère psychologique en impactant positivement l’image du corps et l’estime de soi (Zamani Sani et al., 20165Zamani Sani, S. H., Fathirezaie, Z., Brand, S., Pühse, U., Holsboer-Trachsler, E., Gerber, M., et Talepasand, S. (2016). Physical activity and self-esteem: testing direct and indirect relationships associated with psychological and physical mechanisms. Neuropsychiatric disease and treatment, 12, 2617–2625. doi.org/10.2147/NDT.S116811).
2.2. Valorisation psychologique
Outre le passage par la motricité pour agir sur l’image du corps et l’estime de soi, l’accès au corps-plaisir, abordé précédemment, peut permettre une valorisation psychologique en diminuant les affects négatifs associés au corps. La relaxation ou le toucher thérapeutique sont, par ailleurs, des techniques qui peuvent favoriser le relâchement musculaire et psychique, donc participer à un mieux-être global en modifiant les perceptions et les représentations corporelles (Giromini et al., 2024, p. 112-113). En offrant au patient des expériences et des sensations agréables dans un cadre contenant et sécurisant, le psychomotricien aide son patient à recentrer l’attention sur son corps, donc à modifier la relation qu’il entretient à son égard. La contenance, psychique et physique, est aussi essentielle pour apaiser les angoisses (Pireyre, 2021, p. 1506Pireyre, É. (2021). Clinique de l’image du corps : du vécu au concept (3e éd.). Dunod.), notamment les angoisses de chute, de vidage ou de morcellement présentes dans la démence de type Alzheimer. Pour Montani et Ruffiot (20097Montani, C., et Ruffiot, M. (2009). L’image du corps à l’épreuve de la démence. Cliniques méditerranéennes, 9(1), 103–116. doi.org/10.3917/cm.079.0103), « la notion de contenance se charge d’une valeur thérapeutique essentielle ».
2.3. Valorisation sociale
Le sentiment d’isolement, souvent présent chez les personnes âgées institutionnalisées, augmente considérablement le besoin d’être en relation. Comme l’image du corps se construit entre autres par la relation et par le regard d’autrui, le psychomotricien peut devenir ce tiers intervenant dans la dyade patient-image du corps. Par sa présence, par son écoute et par sa qualité bienveillante et contenante lors des prises en soins, le psychomotricien est capable de créer une alliance thérapeutique qui participe à la renarcissisation de l’image du corps (Baste, 20168Baste, N. (2016). 27. Le travail du schéma corporel et de l’image du corps en relaxation. Aide-Mémoire : Méthodes de relaxation en 37 notions (p. 230–243). Dunod.). L’inclusion du patient dans un groupe thérapeutique en psychomotricité est aussi un moyen de lui faire rencontrer ses pairs et d’échanger avec eux, donc de se sentir davantage soutenu, reconnu, écouté et inclus. Cette dynamique sociale étaye l’estime de soi, donc valorise l’image du corps.
Cet article est tiré de mon mémoire de fin d’étude : « Être en corps présent – Nourrir l’image du corps par la médiation yoga en psychomotricité au sein d’Unités de Soins de Longue Durée ».
Noémie Christensen (2025)